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Santé mentale des jeunes sportifs, l'éternel désespoir

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Adrien Jouvencel, préparateur mental au CREPS de Bordeaux reçoit plusieurs jeunes sportifs en consultation. @Jeremy Lafont

Certains jeunes sportifs souffrent dans les centres de développement de haut niveau durant leur formation. En France, leur accompagnement mental et psychologique est souvent insuffisant, ce qui affecte à la fois leur bien-être et les résultats sportifs des équipes nationales.
 

JEREMY LAFONT
 

 “Dans l’accompagnement mental et psychologique des jeunes sportifs, on est nul, zéro”, affirmait Yannick Noah au micro d’Europe 1, en 2019. Depuis, ce qui était alors un impensé, un non-dit, voire un tabou, s'est invité dans le débat public. Certains sportifs comme Teddy Riner ont évoqué les problèmes que peuvent rencontrer les athlètes de haut niveau. Malgré les prises de parole, l'accompagnement mental des jeunes athlètes est encore insuffisant dans les Centres de Ressources, d'Expertise et de Performance Sportive (CREPS), où les athlètes ne sont pas tous suivis par des spécialistes.

Le jeune sportif est confronté à un rythme très soutenu, une demande et une pression très fortes” explique Sarah Gimenez, psychologue au CHU et CREPS de Bordeaux. “Entre la scolarité, les résultats, les déplacements à prévoir, il y a très peu de répit”. Le docteur Gimenez ajoute que la pression engendre une “fatigue cognitive, mentale et physique”, qui peut impacter le sommeil et l’alimentation. Certains font avec, mais d’autres craquent. Ils peuvent ressentir un dégoût pour leur sport, allant jusqu’au burn-out.
 

À quelques mois des Jeux-Olympiques 2024, et de l’objectif ambitieux d’Emmanuel Macron d'entrer dans le top 5 des nations, la question de la santé mentale revient sur le terrain. Comment des jeunes qui ne se sentent pas bien durant leur formation pourraient-ils gagner des médailles olympiques ? L’amélioration des résultats dans les sports individuels passe, entre autres, par un meilleur accompagnement mental et psychologique dans les CREPS selon les spécialistes que nous avons interrogés. 

 

 

 



 

 

 

 

 

 

 

Un environnement compliqué pour les jeunes sportifs comme pour les psychologues

 La qualité de l’accompagnement mental varie selon les sports et leurs dirigeants. “À​ Bordeaux, certains pôles font appel à des préparateurs mentaux, d’autres n’ont que la psychologue de l'établissement” confie Adrien Jouvencel, préparateur mental dans des pôles espoirs. ”J'interviens principalement sur les sections badminton et football américain, mais ce sont eux qui sont venus me contacter, pas le CREPS". Même son de cloche pour Stéphanie Pouvreau, préparatrice mentale : "Les fédérations ne sont pas toutes au même niveau, mais heureusement, il y en a qui ont pris ça à bras le corps et en ont mesuré l'importance. Et ça, c'est valable pour le haut niveau. Lorsque l’on descend, c’est moins évident. Il n'y a pas les financements. Ce ne sont pas des priorités sur les lignes budgétaires”. Le tennis est l'un des mauvais élèves dans le domaine. Les jeunes ne sont pas accompagnés, s'ils ne sollicitent pas un appui par eux-mêmes. C'est le choix qu'a fait Léo Lagarrigue, tennisman de 18 ans " Depuis maintenant deux ans je vois un préparateur mental, c'était l'initiative de mon père jamais mes entraîneurs ou mon club m'en a recommandé [...] il m'aide a gérer mes émotions ne pas m'énerver sur le court car je lâche trop d'énergie à pester contre moi-même". Nous avons essayé de contacter des fédérations, sans aucune réponse.


 

 

 

 

                             Image IA Midjourney répondant au Script "jeune tennisman triste sur un banc de tennis"

Depuis quelques années, le rôle des préparateurs mentaux s'est renforcé. Selon Adrien Jouvencel, sa mission est “d’accompagner le sportif dans une démarche de performance”. C’est à lui “de creuser, essayer de trouver les causes d’une problématique et mettre une stratégie en place pour qu’il soit le plus performant”. Seulement, de simples formations en ligne permettent de devenir “préparateur mental”. Le métier n’étant pas protégé, certains ne sont pas compétents et donc inutiles, voire dangereux pour les sportifs.  “En fait, moi, un préparateur mental, je ne sais pas ce que c'est en vérité. Ça dépend de son parcours, de sa formation. Est-ce que c'est un ancien sportif qui s'est dit « moi, je sais comment aider les sportifs » ?" se questionne Sarah Gimenez. 

 

 

 

 

 

Les psychologues certifiés eux, sont débordés. Au CREPS de Bordeaux, une seule thérapeute s’occupe de 420 stagiaires. Un unique rendez-vous d'une heure est obligatoire par an, et les jeunes ne réalisent pas forcément qu’ils ont besoin de consulter. Dans ce contexte, il est difficile de traiter tous les stagiaires. “ Quand je viens au CREPS de Bordeaux, c’est principalement de la prévention en groupe, il est compliqué de prendre les élèves en individuel. On essaie aussi de traiter avec les entraîneurs, le staff, mais ils ne sont pas tous réceptifs”, juge Sarah Gimenez. 

Concurrence, solitude, pressions : les raisons d’un mal-être

Seuls les meilleurs  d'une classe d'âge rejoignent les pôles espoirs. Les places valent cher, les baisses de résultats ou les blessures peuvent mettre sur la touche ces jeunes athlètes. Entraineurs, parents et entourages ont beaucoup d’a

ttente. Tous les regards portent sur le sportif. “Quand je suis entré au pôle espoirs tennis de Bordeaux, on n’était que trois. Si les résultats ne suivaient pas je n’étais pas sûr de rester l’année d’après. Moi, j’ai commencé le tennis en compétition à 5 ans. Quatre entraînements par semaine notamment avec mon père. C’est sûr que je n’avais pas envie de décevoir”, témoigne Nicolas Lafont, ancien pensionnaire du CREPS Bordeaux de tennis. Il est désormais professeur au club de La Teste-de-Buch. “Peut-être qu’en n'en parlant plus des problèmes liés au stress notamment, j’aurais pu être meilleur. Mais je ne peux pas refaire ma carrière, et je pense que ce sont plus les blessures qui m’ont fait arrêter la compétition à haut niveau” ajoute t-il.
 

Caroline Fanciullo, psychologue au CREPS d’Aix-en-Provence explique que la rivalité entre élèves aussi peut poser problème : “ il y a des liens au sein du collectif, un travail de sociabilisation pour ceux qui changent de lieu de vie, mais aussi des exclusions quand des individualités prennent trop de place et que ça peut tourner en harcèlement ou se traduire avec de la violence. La notion de rivalité chez les jeunes est mal absorbée.”
 

Surtout quand ils sont éloignés de leur famille. Nombre d'entre eux habitent loin des établissements. Ils doivent partir à plusieurs centaines de kilomètres. Quinze CREPS accueillent les meilleurs sportifs de France métropolitaine. Parti du foyer familial, dès 12 ou 13 ans, l’acclimatation peut s’avérer compliquée comme l’explique Nicolas Lafont, s’étant exilé à une centaine de kilomètres de chez lui: “Au début ça fait bizarre de se retrouver sans sa famille, on se dit qu’on est grand on est un peu content mais la famille manque vite. Surtout quand tu as 13 ans comme moi. Avec le recul, ça fait grandir plus vite, mais sur le moment c’est difficile. Je n’en ai jamais parlé avec un spécialiste, il y avait un psychologue mais je n’ai jamais pris de rendez-vous, j’aurais sûrement dû aller le voir, à cet âge là ce n'est pas facile”. De même pour Louise*, golfeuse, habitante de la banlieue parisienne qui est partie loin de chez elle: “Je rentre tous les weekends, j’ai trois heures de train. Forcément mes parents me manquent, j'appelle ma mère presque tous les soirs. Une fois l’habitude prise ça va, mais je suis mieux les weekends chez moi ou je peux aller jouer avec mes parents dans mon golf.”

*Prénom modifié par respect de l'anonymat

 

 

 

 

Sur ce graphique on peut voir la distance qui sépare les plus grandes villes sans CREPS, avec les centres les plus proches. Il faut donc compter plus de 200km pour un habitant du Havre ou de Brest. Cette distance peut s’augmenter aussi selon les sports car chaque CREPS n’ont pas toutes les formations. 

Les conséquences sur la vie du sportif

L’angoisse générée par la vie exigeante d’un sportif en devenir peut créer des troubles dépassant le cadre du sport. Une enquête du Comité d’Ethique et du Sport réalisée en 2020 a publié des résultats alarmants “sur plus d'un millier de sportifs, entre environ 80% et 90% se sentent directement concernés par au moins une des situations suivantes : manque de force ou d'énergie (89%), sentiment de tristesse (88%), nervosité/anxiété (86%) manque de confiance (86)”. Des résultats d’autant plus critiques que “les résultats sont alarmants chez les jeunes”, sans autant donner plus de précisions.


 

Il y a des cas sévères de burnout, de dépression, mais c’est plus la psychiatre qui va prendre en charge le patient” confie Sarah Gimenez. “Souvent, c’est lié aux blessures ou aux manques de résultats. J’ai vu des patients qui ont tout donné pour le sport et qui se rendent compte à 17-18 ans que c’est fini pour eux. Un rêve prend fin et forcément c’est difficile à accepter”.

 

Le sommeil et l’alimentation peuvent être perturbés. Quentin Merlin, préparateur mental et ancien pensionnaire du pôle espoir natation de Dijon s’est confié à ce sujet : “j'ai pu voir des problèmes de boulimie ou d’anorexie, notamment chez les filles. Des filles de ma structure ont fini à l’hôpital car elles ne voulaient plus manger. Souvent ça part d’une mauvaise acceptation de son corps, des blessures, puis ça va plus loin”. Ces problèmes d’alimentation ont obligé de nombreux nageurs à quitter le grand bain. Le sommeil aussi est primordial. Les moments de récupération se trouvent rares et de mauvaises nuits sont handicapantes pour un sportif rongé par le stress et l’angoisse.

Il m’arrive d’avoir du mal à dormir avant les grosses compétitions, je pense que c’est humain. Le stress est sûrement la cause, et c’est un point que j’aborde souvent avec ma préparatrice mentale” (ndlr: préparatrice mentale personnelle) admet Louise.



 
















 

Les Français au ralenti dans les sports individuels, mais des exemples à suivre
 

Pour qu'un athlète soit performant, il est essentiel qu'il soit aussi en forme physiquement que mentalement. Les deux vont de pair, et les jeunes sportifs doivent dès leur apprentissage réussir à trouver un équilibre mental. " Nous, ce qu'on cherche c'est la performance, ça passe par réussir à se fixer des objectifs, éliminer les pensées parasites avant une compétition, réussir à gérer ses émotions" explique Adrien Jouvencel. Sans cela, un athlète peut perdre ses moyens dans les moments cruciaux. Louise et Léo sont de bons exemples: ils sont formels, leur jeu s'est amélioré après qu'ils ont consulté un professionnel. Et plus un sportif sera accompagné tôt, plus il sera fort mentalement. L'exemple Ysaora Thibus est criant : malgré une deuxième place mondiale et de réelles chances de médaille, l'athlète n'a gagné qu'une médaille d'argent par équipe. Elle a révélé plus tard, dans les colonnes du Monde, qu'elle avait été sérieusement affectée par la pandémie et la "période très douloureuse" qui a suivi.​

La fédération française de rugby est le bon élève en matière de santé mentale. Tous les pôles espoirs en France font appel à des préparateurs mentaux. Dans les reportages diffusés à la télévision avant la dernière Coupe du monde, on pouvait distinctement voir le sélectionneur Fabien Galthié et son staff appuyé sur la dimension mentale. Mickaël Campo, préparateur mental du XV de France s'est exprimé sur ce sujet pour Le Point: " Ils ont été formés pour atteindre le plus haut niveau depuis très longtemps. C'est d'abord dû à une dimension mentale prise en compte de plus en plus tôt dans les centres de formation, ce qui permet une gestion réciproque des charges mentales."

Pour illustrer l'importance d'une bonne prise en charge de la santé mentale de ses athlètes, très tôt dans leur formation, la France dispose d'un exemple marquant : Teddy Riner. Avec le temps, il est presque devenu un porte-parole de la psychologie dans le sport. Dès 14 ans, le judoka était suivi par une psychologue et s’est forgé un mental d’acier. “Si ma psy n’avait pas été là, j’aurais eu une autre carrière ” disait-il en 2022 pour le média Brut. Le palmarès de “Teddy Winner” est exceptionnel : 3 fois champion olympique, 11 fois champion du monde, le Guadeloupéen a écrasé sa discipline. Il a fait changer les choses par ses prises de parole, et désormais de nombreux athlètes sont suivis mentalement. Pas tous, et sans doute pas assez  : tant que la santé mentale sera encore un tabou pour certaines fédérations, la situation de nombreux jeunes sportifs n’évoluera pas. Mais comment faire comprendre à ces instances - que le silence autour du sujet ne paraît pas dérangé - de la nécessité d'y mettre fin ? Peut-être, et très cyniquement, en leur permettant de réaliser l'importance de la préparation mentale sur les résultats. Or, ceux des sports individuels sont alarmants depuis quelques années. À domicile, lors des JO de Paris, une série de débâcles pourrait bien être le déclencheur d'une prise de conscience. Enfin. 

"Des filles de ma structure ne voulaient plus manger"

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Sarah Gimenez, psychologue au CHU de Bordeaux se déplace dans les CREPS pour essayer d’aider les jeunes sportifs d’un point de vue mental mais pas seulement. Il existe une branche au CHU nommée AMPD “Antenne prévention médicale contre le dopage”. “Il est de plus en plus facile de se doper et quand les résultats ne sont pas à la hauteur, certains jeunes le fait, en plus d’être illégal et immoral, c’est dangereux pour le corps”, juge la psychologue. Elle n’hésite pas à affirmer qu’il y a un lien entre santé mentale et dopage. “ Dans les profils qu’on a de jeunes sportifs qui se dopent, généralement là-haut (ndlr la tête) il y a un problème aussi. Et d’ailleurs beaucoup regrettent et sont encore plus mal qu’avant”.

Stéroïdes anabolisants (augmentent la masse musculaire), clenbutérol ( brûleur de graisse), ou même des compléments alimentaires peuvent être dangereux pour la santé. Les symptômes liés à la prise de produits dopants peuvent aller à de simples boutons jusqu’aux problèmes cardiaques et AVC. L’AMPD agit donc sur la région Nouvelle-Aquitaine par de la consultation spécialisée jusqu’à de l’enseignement ou de la recherche. En 2022 Marie-Noëlle Lienemann essaie d’alerter le Sénat, selon elle plus de 220 000 jeunes licenciés sont touchés. Le Ministère a annoncé un plan de prévention, à voir maintenant s' il fonctionnera dans les années à venir.

Le dopage comme conséquence

Les résultats inquiétants des français (1).png
Infographie réalisée sur Canva @JL
Vidéo Interview Adrien Jouvencel, préparateur mental nomade.

Adresse

104 Domaine de La Forge, 33260, La Teste-de-Buch

Téléphone

0781402741

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